Sains doit sa naissance, dit-on, à
la découverte , dans les premiers siècles de l'ère
chrétienne, de plusieurs corps de saints. Si nous
ignorons les noms de ces "bienheureux", l'étymologie du
mot "Sains" (du latin "Sanctus"), désignant un
sanctuaire où étaient conservés des reliques de saints)
confirme cette hypothèse. La nouvelle s'étant répandue,
de toutes parts des pèlerins accoururent. A cet endroit,
ils élevèrent un oratoire, construisirent quelques
cabanes : une agglomération venait de naître. Sains
ne se situant pas à un carrefour d'axes routiers
importants, sur les rives d'un cours d'eau, situations
favorables à une expansion rapide, il est vraisemblable
que cette découverte en fit un site privilégié et
favorisa son développement. La naissance de
Richaumont est plus classique. Quelques cabanes,
groupées autour d'une mare, d'une fontaine, formèrent un
"curtis" (cour : exploitation rurale), propriété de
"Richer", nom d'homme germanique qui, avec le latin
"mons" (mont) forma le mot "Richaumont" Hameau
détaché de Sains : "Sains et Richaumont", Richaumont le
resta jusqu'en 1883 lorsqu'un décret, signé du Président
de la République, Jules Grévy, le rattacha au mot Sains
par un trait d'union et en fit :
"Sains-Richaumont".
Sains-Richaumont est le chef-lieu
d'un canton regroupant 19 communes, totalisant 4550
habitants. C'est un canton à vocation uniquement
agricole puisque, implantée dans ses limites
géographiques, une seule industrie employait une
centaine d'ouvriers.
Si au dernier recensement
Sains-Richaumont est crédité de 967 habitants, il n'en a
pas été toujours ainsi. En effet, en 1856, époque
florissante de l'industrie textile, le bourg totalisait
2534 âmes. Ce fût son apogée. Après l'implantation de
quelques pèlerins, il connut jusqu'au milieu du XIXème
siècle, une prospérité croissante jamais démentie. Il
allait, dans les décennies suivantes, subir un déclin
inexorable, maladie des zones rurales
d'aujourd'hui.
Le premier essor de la population
commence au XIIème siècle, avec l'époque féodale. Après
avoir reçu d'immenses domaines des mains du Roi, les
comtes de Vermandois, au gré d'une alliance ou de leur
fantaisie, partagèrent leurs terres avec leurs vassaux
les plus importants. Un peu plus tard, ne pouvant
entretenir seuls leurs biens, ces mêmes assujettis se
virent dans l'obligation de les distribuer, eux aussi, à
leurs vassaux de condition plus modeste. Cette
répartition favorisa l'extension d'une multitude de
villages dont chaque seigneur-propriétaire prit le
nom. Ainsi, René de Guise (1010), premier seigneur
connu, fut possesseur des terres du même nom, venant des
comtes de Vermandois. Un de ses descendants, Renier II
de Guise (1158), hérita du terroir de Sains et prit le
nom de Renier Ier de Sains. Sur une éminence naturelle,
pas très loin de l'oratoire, il y fit construire un
château, construction en pierres des plus simples,
entourée d'une palissade en bois et d'un fossé. Avec les
diffrentes familles devenues maîtres du lieu, l'édifice
s'agrandit sans toutefois atteindre les dimensions d'un
château-fort comme nous aimons l'imaginer
volontiers. La famille de Sains ne resta pas très
longtemps maître de la terre du même nom, une alliance
la fit tomber dans les mains de la famille de Châtillon
puis dans celle de Jumont, des de Moÿ, des de Lorraine
(pas de la famille des ducs de Guise), des de Ligne et
aboutit, au début du XVIIIème siècle chez les Foreau de
Vauléger dont le gendre, Philippe François de Montaigle,
fut, à la veille de la Révolution, le dernier seigneur
de Sains.
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Armoiries de Renier II de Sains,
seigneur de Sains en 1223 |
Armoiries de Philippe François de
Madrid de Montaigle, seigneur de Sains en 1771
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Le 25 mars 1794, Le château fut
vendu comme bien national. Noël Sandron l'acheta et le
livra à la démolition. Actuellement, rien ne subsiste de
cet édifice. A sa place, un lotissement a vu le jour.
S'appelant "Le château", il perpétue le souvenir d'une
ancienne demeure seigneuriale.
On ne peut évoquer les seigneurs de
Sains sans parler de l'église puisque le premier édifice
religieux fut construit sous le règne de la première
famille. L'église de Sains, nous dit une ancienne
chronique, est de style roman. Elle est dédiée à saint
Martin. Elle se compose d'une seule nef à charpente
apparente, sans bas-côté. La nef se termine par une
abside. Cette église n'est plus; il n'en reste que la
base du donjon (clocher) datée du XIIè siècle, le haut
ayant été remanié plusieurs fois, notamment au XVIIè
siècle. Bravant le temps, ce monument d'un autre âge est
resté debout en dépit des guerres, des tempêtes et des
révolutions. Il est, avec les fonts baptismaux en pierre
bleue de Tournai, le plus vieux témoin du passé de
Sains-Richaumont. Vers 1830, les dimensions de
l'église n'étaient plus en rapport avec le nombre
toujours croissant des paroissiens venus assister à la
messe du Dimanche. A cause de l'exiguïté des lieux, une
grande partie des fidèles suivait dehors le déroulement
de l'office. Cela n'était pas sans inconvénient, les
conversations des uns et des autres gênaient le
recueillement dû au service divin. A cet état de
choses, il n'y avait qu'une solution : agrandir ou
reconstruire l'édifice. La décision de reconstruire
l'église sur ces anciennes bases fut prise par le
conseil de fabrique de concert avec la municipalité
après avoir reçu l'assurance d'une aide de
l'Etat. Les travaux durèrent 20 ans : la première
phase débuta en 1865, elle concernait l'édification du
bas-côté sud. La deuxième, en 1873, vit l'élévation du
bas-côté nord et des murs de la nef. Enfin, en 1883, la
remise en état du choeur marqua la fin des travaux. Le
13 mai 1885, monseigneur, Odon Thibaudier, évêque de
Soissons et de Laon, consacra la nouvelle église.
L'église de Sains-Richaumont
comprend : une nef et des bas-côtés de quatre travées,
un transept dont chacun des bras compte deux travées où
s'ouvrent deux chapelles à chevet polygonal, un choeur à
une travée droite se terminant par un chevet pentagonal.
Le tout mesure 36 mètres, le transept 22 mètres et la
nef 18 mètres. L'ensemble est voûté sur croisées
d'ogives.
L'implantation de la mulquinerie en
Thiérache, au XVIIè siècle, engendra un nouvel essor de
la population. Nous savons qu'en 1760, avec 1620
habitants, le bourg de Sains et Richaumont comptait 191
mulquiniers (Ouvrier tisserand fabriquant des étoffes de
batiste et linon). La mulquinerie est la fabrication
de toiles fines ne se composant que de lin. Elle prit
naissance dans les Pays-Bas puis gagna, dans la deuxième
moitié du XVIè siècle, Cambrai et Valenciennes. Elle ne
tarda pas à être apportée à Saint-Quentin par un sieur
Crommelinck, originaire de Courtrai. En même temps, il
introduisit la culture du lin dans le Vermandois. Dans
la ville et dans les environs, il fit monter de nombreux
métiers pour le tissage de la batiste (toile très fine
du nom de son inventeur au XIIIè siècle, Baptiste
Chambray), dont la qualité fit la renommée de la
région. Cette industrie prospéra rapidement, tout le
monde se fit mulquinier. A Saint-Quentin, il n'y eu plus
personne de riche qui ne dût sa fortune à l'industrie du
lin.
De Saint -Quentin, l'industrie du
lin pénétra en Thiérache (à noter qu'à Richaumont, une
cave de mulquinier est datée "1610"). Pendant près de 2
siècles, le bourg de Sains et les communes environnantes
comptèrent de nombreux ateliers tissant le lin. Comme
celui du Vermandois, le sol du pays était favorable à la
culture du lin, mais cette activité ne paraît pas avoir
eu une grande importance sur le terroir de Sains.
L'absence d'un cours d'eau pour le rouissage a peut-être
décidé des mulquiniers de notre région à demander la
filasse aux pays producteurs. Le métier à tisser
"estille à marquinier", dans le patois picard, était
installé, généralement par 2, dans une cave
semi-enterrée pour y maintenir humide et souple la
matière à tisser. Plusieurs soupiraux introduisaient la
lumière dans cet endroit bâti de pierres calcaires
blanches pour la luminosité, surmontées d'une solide
voûte. Les mulquiniers tissaient en famille de longues
bandes de toile ne dépassant pas un
mètre. L'industrie textile venait de s'implanter à
Sains et Richaumont. Elle y restera pendant plus de 3
siècles. La période la plus prospère pour la mulquinerie
en Thiérache fut celle allant de 1775 à 1789.
Un fatal traité de commerce conclu
avec l'Angleterre et les jours troubles de la révolution
ruinèrent des mulquiniers. Heureusement, le tissage des
toiles de laine vint succéder à celui du lin. A la
tête de cette nouvelle industrie se trouvaient des
artisans appelés contremaîtres. Les uns opéraient pour
leur propre compte, les autres étaient de simples
intermédiaires au service des filatures de Reims et du
Nord de la France. Les contremaîtres procédaient à
l'ourdissage (action de réunir les fils de chaîne en
nappe et de les tendre avant le tissage) et au collage
des fils venus en bobines des filatures. Le tout était
ensuite confié aux tisseurs qui, moyennant salaire,
confectionnaient des tissus de laine de différentes
dimensions. Tandis que les plus habiles réalisaient,
en grande largeur, des châles d'une finesse capable de
rivaliser avec les cachemires des Indes, les autres,
moins doués, se contentaient de tisser, en un mètre, du
mérinos ordinaire. Dans la première moitié du XIXè
siècle, les tisseurs à la main, fils et successeurs des
mulquiniers, formèrent à Sains et Richaumont une classe
à part, une classe aisée. Elle fut l'élite de la
population.
Devant la demande, sans cesse
croissante, de matière première, Jean Louis David, né à
Sains en 1805, pensa, pour répondre aux besoins des
tisseurs à la main, construire au pays une filature
mécanique analogue à celles de Reims et de
Saint-Quentin. Sa filature vit le jour en 1845.
Rapidement, elle put fournir aux contremaîtres un fil
solide et de qualité. Avec cette première mécanisation,
Sains et Richaumont devint une ville prospère, l'égale
des autres villes de l'arrondissement. Jean Louis
David mourut jeune, en 1860. Dans le cimetière communal,
sur la pierre tombale, outre les inscriptions
habituelles, est gravée : "A la mémoire de Jean
Louis David-Labbez, fabricant et filateur, inventeur du
peigne à épeulin."
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La tombe de Jean Louis
David |
A la mémoire de Jean Louis
David-Labbez, fabricant et filateur, inventeur du
peigne à épeulin |
Jean Louis David, inventeur du
peigne à épeulin
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Quelques années avant la guerre de
1870, le tissage à la main périclita. Petit à petit, les
tissages mécaniques s'emparaient de la fabrication
manuelle de toutes les étoffes de laine. A la fin du
siècle, ils avaient remplacé totalement cette catégorie
de travailleurs. Ainsi, dans les maisons du bourg de
Sains et dans les environs disparut pour toujours le
bruit caractéristique de la navette en mouvement et avec
lui, l'aisance que ce travail procurait. Cette
disparition entraîna le déclin de la population. Plus
rien n'allait pouvoir arrêter l'hémorragie démographique, pas
même l'arrivée du chemin de fer en 1888.
En 1889, il y avait à Sains 2
tissages mécaniques de laine peignée : celui de
David-Labbez fils et Cie et celui de Hulin, et une
filature de laine : celle de Moroy et Cie. Pendant la
première guerre mondiale, les Allemands pillèrent les
trois usines. Après leur départ, en 1918, tout le
matériel avait disparu. La paix revenue, timidement la
vie reprit son cours et des métiers à tisser furent
réinstallés. En 1920, Sains-Richaumont est crédité de
trois tissages mécaniques : Vaillant-Pruvot, Bayard et
fils et Divry et Cie. En 1933, il y a toujours trois
tissages : Millet-Boivin, la société textile du nord de
l'Aisne et Divry et Cie. Dans les années suivantes,
la société Bourlet-Dandre s'implanta à Sains-Richaumont.
Après rachat des trois tissages, elle devint seule
propriétaire de l'industrie textile dans le pays.
Pendant près de quarante ans, elle procura du travail à
de nombreux ouvriers et assura la prospérité de leurs
familles. Seule la crise du textile, devenue un fléau
dans le Nord de la France, entraîna la fermeture
définitive de l'usine le 18 juin 1976. Avec cette
fermeture, après 130 ans d'existence, disparaissait pour
toujours l'industrie mécanique textile à
Sains-Richaumont.
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Sains-Richaumont - les usines
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L'année suivante, en 1977, la firme
Guiot, une société privée, reprit les locaux et y
installa un atelier de fabrication de filtres pour
moteurs automobiles. Cet atelier fut repris en 1981
par Labinal (Purflux), en 2001 par Valeo, puis en 2002
par SOGEVI. Cette succession de reprises montre bien
l'instabilité des entreprises d'aujourd'hui puisque
SOGEVI ferma définitivement les portes de son usine de
Sains-Richaumont le 31 décembre 2002, privant ainsi la
commune de toute industrie.
Christian lemaire Décembre 2003
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